• Lire des récits de voyage fait du bien aux méninges, émoustille l'imagination que nous avons perdue et permet de remettre certaines choses à leur place dans la vie en général.
    Livre d'un flâneur émerveillé, L'Usage du monde de Nicolas Bouvier raconte sa lente et heureuse dérive, dans les années 1953-1954, entre Genève et le continent indien.

    Toutes proportions gardées, certaines impressions de l'auteur m'ont ramenée au souvenir de l'Italie et de mon aventure romaine. Je tenais alors à jour un blog d'expatriée, qui entretenait mon propre émerveillement et me permettait d'immortaliser rigoureusement mes expériences. Un journal de bord comme celui de Nicolas Bouvier :

    Ce qu'elle (la ville) pouvait déjà donner comptait plus que ce qui lui manquait encore. Si je n'étais pas parvenu à y écrire grand chose, c'est qu'être heureux me prenait tout mon temps. D'ailleurs nous ne sommes pas juges du temps perdu.

    Autre passage qui me parle:
    Ces grandes terres, ces odeurs remuantes, le sentiment d'avoir encore devant soi ses meilleures années multiplient le plaisir de vivre comme le fait l'amour.

    Enfin :
    Finalement, ce qui constitue l'ossature de l'existence, ce n'est ni la famille, ni la carrière, ni ce que d'autres diront ou penseront de vous, mais quelques instants de cette nature, soulevés par une lévitation plus sereine encore que celle de l'amour, et que la vie nous distribue avec une parcimonie à la mesure de notre faible cœur. <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>



    Merci Pierre pour cette lecture.


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  • A 8 ans, mon père se boucha les oreilles pour ne plus entendre le son des mitraillettes nazies qui résonnaient dans la cour.
    A 12 ans, il décida de devenir prêtre et entra en internat.
    Après le bac, il étudia la philosophie et la théologie. Guerre d'Algérie oblige, il dût interrompre ses études pour rejoindre le bataillon. Il devint infirmier sur le tas et fut chargé, entre autres missions, de recoudre les corps dépecés des soldats décédés afin de les rendre présentables au moment de l'identification.
    28 mois plus tard, il rentra à Paris pour finir son séminaire de théologie, s'engagea auprès de la mission française et s'envola pour la Malaisie. Il avait 26 ans.
    Devenu officiellement missionnaire, il fut ensuite envoyé en Inde pour y apprendre le tamoul. Il y resta deux années.
    Il revint en Malaisie, mais ne fut plus tout à fait le même. Face aux réalités sociales, il se rendit compte que parler du bon dieu était un peu limité. "J'étais chrétien, mais avant tout humain". Il aida des familles et des villages à s'instruire, s'organiser, travailler. Ses méthodes furent sévèrement critiquées par ses supérieurs, parce qu'elles sortaient du cadre de sa mission de christianisation.
    Au passage il rencontra ma mère, une jeune chinoise peu instruite mais volontaire.
    Usé par la désapprobation de ses pairs, fatigué du dogmatisme et déçu par l'Eglise, mon père décida un jour de rentrer en France. Il demanda pour cela au pape sa réduction à l'état laïc.Il avait alors 38 ans, et son pays n'était plus vraiment le sien.
    De Paris il garda contact avec ma mère, à qui il conta fleurette  à distance pendant quelques mois. Il parvint à la rapatrier en France pour l'épouser alors qu'elle n'avait que 21 ans.
    Final : il trouva un emploi de technicien dans un grand aéroport, ne baptisa pas ses filles et ne retourna plus à la messe.

    J'ignorais un tas de détail, notamment concernant les motifs de son désengagement de l'Eglise et sa perte de confiance dans la religion. Je savais par contre que mon père cachait derrière lui un vécu extraordinaire, fait de voyages et de rencontres. J'ai d'ailleurs grandi au croisement des cultures française, chinoise et indienne, à l'image du passé de mes parents.
    Pour la première fois, j'ai eu le plaisir de voir mon père mettre sa pudeur et son orgueil de côté. Pour déballer le morceau, de lui-même.

    Je lui ai pardonné plein de choses du coup.

    Rachid, ça ne te rappelle rien tout ça ?...

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  • Je n'avais pas vu mes parents depuis Noël dernier. Avec eux ça a toujours été particulier. On se parle mais on ne se dit rien, on se voit mais qu'on ne se connaît pas. C'est triste, or c'est ainsi depuis tellement longtemps que personne n'a jamais vraiment fait d'effort pour briser la glace. Comme si tout le monde le déplorait mais avait en même temps la flemme de faire le premier pas pour changer les choses. Par ailleurs je sais que je les déçois. Que mes études représentent leur unique motif de fierté et que tout ce que j'ai pu entreprendre d'autre dans ma vie n'a jamais fait l'objet de leur bénédiction : garçons, travail, style de vie, Italie...Disons que j'ai toujours eu plus de soutien de la part de mes amis, mais je ne m'étendrai pas sur le sujet.

    Mon père va bientôt fêter ses 70 ans. Je n'en ai que 27, il pourrait donc être mon grand-père. C'est un homme sombre, mystérieux, solitaire et peu disposé au dialogue. Je ne l'ai jamais apprécié, mais j'ai cessé depuis belle lurette de chercher à le contredire. Parce que les conflits ne sont plus ma tasse de thé et qu'en grandissant j'ai appris à céder.

    Or vendredi il s'est passé quelque chose. Au lieu d'aller faire sa sieste, mon père m'a fait asseoir dans le jardin et s'est mis à me raconter son histoire. Pendant trois heures, il a passé en revue les étapes charnière de sa vie. J'en connaissais les grandes lignes, mais cette fois-ci c'était différent. Mon père y avait réfléchi, avait structuré son récit, me le présentait comme s'il s'agissait de la biographie de quelqu'un d'autre, ayant marqué l'histoire. J'ai frémi.


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